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    Changeons nos échanges ! L’interview de Marc Dufumier

    Marc Dufumier, Agronome et Président de Commerce Équitable France, réagit face à la crise sanitaire que traverse le monde et ce qu’elle révèle des limites et failles de notre système économique. 

     

    Quelle fut votre première réaction face à la crise ?

    J’ai d’abord été surpris, comme tout le monde, de voir que ce que l’on pouvait considérer au début comme apparenté à une vilaine grippe était en fait bien plus contagieux avec un taux de létalité sensiblement supérieur. Et de découvrir aussitôt qu’à force de réduire les budgets consacrés à la santé et à l’intérêt général, nous n’étions pas du tout préparés à affronter celle-ci. Une grave erreur à ne plus jamais répéter dans l’avenir ! 

     

    Cette pandémie me semble bien confirmer le fait que l’attention que nous portons presque exclusivement à la croissance économique, mesurée en termes monétaires au travers du seul Produit intérieur brut (PIB), nous conduit à l’impasse. L’urgence va être de reconsidérer totalement notre façon d’appréhender ce que peuvent être le bien-être collectif, l’équité et la solidarité.

     

     

    Que révèle cette crise des limites et des failles de notre système économique globalisé ? En particulier en ce qui concerne la sécurité alimentaire mondiale ?

    Notre impréparation pour contrer la pandémie actuelle révèle bien les risques qu’il y a de trop dépendre de l’étranger pour les approvisionnements de première nécessité : les masques barrières, les respirateurs, les kits de testage, les médicaments, etc. Les nations les plus pauvres du Sud ont quant à elles, malheureusement, depuis déjà longtemps, fait l’expérience de la dépendance et de l’insécurité alimentaires. Le problème est que de trop nombreuses populations pauvres des pays du Sud ne parviennent toujours pas à acheter ou produire par elles-mêmes la quantité d’aliments nécessaire pour couvrir leurs besoins journaliers. Pour les deux tiers, ce sont des paysans insuffisamment rémunérés du fait de devoir être exposé à la concurrence des importations à vil prix de nos excédents de céréales, poulets bas de gamme, poudre de lait, etc. Les autres sont des gens qui, faute de pouvoir être compétitifs, ont dû quitter prématurément leurs campagnes et rejoindre prématurément des bidonvilles sans pour autant y trouver des emplois.

     

    La crise sanitaire dans les pays les plus fortunés résulte quant à elle bien plus d’une alimentation déséquilibrée, avec une consommation exagérée de sucres et d’acide gras saturés et des carences en vitamines, fibres et antioxydants, que du Covid-19. À quoi s’ajoute aussi fréquemment la présence de substances indésirables dans notre alimentation : du fipronil dans les œufs, des antibiotiques dans la viande et des résidus pesticides (perturbateurs endocriniens) dans nos fruits et légumes. Cela provient très largement de notre agriculture industrielle qui, pour des raisons de compétitivité à tout prix sur le marché mondial des produits agricoles et alimentaires, s’est bien trop spécialisée. Avec pour effet d’obliger les producteurs à utiliser des pesticides et des antibiotiques pour prévenir ou enrayer les éventuelles pandémies sur nos monocultures et nos animaux élevés en espaces confinés !

     

    D’un point de vue strictement technique, il existe d’ores et déjà une grande diversité de pratiques agricoles relevant de l’agroécologie qui permettraient de nourrir correctement et durablement l’humanité toute entière, sans coût majeur en énergie fossile, sans pollutions de l’air, des eaux et des sols, ni préjudices occasionnés aux générations futures.

     

    Mais les obstacles à l’élévation durable des rendements agricoles, sans recours excessif aux énergies fossiles et aux produits pesticides, ne sont pas tant d’ordre technique que de nature socio-économique. Ils résultent en premier lieu de la pauvreté actuelle des paysanneries du fait des prix de vente trop peu rémunérateurs et des conditions inégales dans laquelle se manifeste la concurrence entre producteurs sur les marchés mondiaux des produits agricoles et alimentaires. Il nous faut impérativement promouvoir un commerce mondial plus équitable et assurer des revenus décents aux paysanneries.

     

    Les obstacles consistent aussi en des structures agraires injustes, des législations foncières inadéquates, des difficultés d’accès à des crédits non-usuriers, et des conditions iniques imposées généralement par les monopoles ou oligopoles situés en amont ou en aval des filières de production : les compagnies semencières, les pourvoyeurs de pesticides, les multinationales de l’agro-industrie, la grande distribution, etc.

     

     

    Quels constats et quelles leçons en tirer pour « le monde d’après » ?

    Il est urgent de réorganiser nos échanges internationaux de façon à diminuer les écarts de revenus entre nations, et ne plus mettre les paysans du Sud qui travaillent encore à la main en concurrence avec les grandes exploitations agricoles du Nord, hautement mécanisées, motorisées, voire robotisées, et de surcroît fortement subventionnées. Ces paysans qui travaillent pour leur propre compte devraient pouvoir être correctement rémunérés en vendant leurs produits à un prix équitable.

     

    De même les paysans français mériteraient-ils de ne pas être exposés aux importations à bas prix de protéagineux ou de viandes en provenance des exploitations de plusieurs milliers d’hectares situées aux États-Unis, au Brésil, et en Argentine. Nous protéger de ces importations n’auraient rien de franchouillard. Nombreux sont en effet les Brésiliens qui me disent qu’ils ne sont pas fiers de voir exporter leur soja pour nourrir nos animaux alors qu’ils souhaiteraient que cela puissent nourrir… des Brésiliens ! Ce sont en fait toutes les nations du monde qui auraient intérêt à assurer leur propre sécurité alimentaire en gérant conjointement chez elles, en circuit court, les cycles du carbone (la photosynthèse), de l’azote (les légumineuses) et des éléments minéraux (agroforesterie et mycorhizes).

     

     

    Un mot pour finir !

    Paysans, consommateurs et défenseurs de l’environnement : Tous unis ! Même combat !

     

     

     

    Marc Dufumier, Agronome et
    Président de Commerce Equitable France