3 questions à Dominique Potier, député de Meurthe-et-Moselle
Chaque mois, dans le cadre de la newsletter Échos Équitables, nous donnons la parole à des acteurs engagés en faveur de la transition écologique et solidaire. Ce mois-ci, nous donnons la parole à Dominique Potier, un député fermement impliqué sur les questions de production et d’alimentation durable qui a porté les propositions du collectif Commerce Équitable France en Commission spéciale dans le cadre du projet de loi climat et résilience.
Question 1
Selon vous, en quoi l’équité dans les relations commerciales, au Nord comme au Sud, est-elle un moyen pour répondre aux défis sociaux et environnementaux notamment dans le secteur de la production agricole ?
Edgar Pisani, grand architecte de nos politiques agricoles contemporaines, disait déjà en 1962 « Le Monde aura besoin de toutes les agricultures du monde pour nourrir le monde ». J’ajouterai volontiers qu’aujourd’hui nous aurons besoin de toutes les terres du monde !
La crise de la COVID-19 a démontré notre interdépendance planétaire. Si notre système agricole hexagonal a su résister aux chocs économiques de la pandémie, nos liens étroits avec les paysanneries du Sud nous oblige. Il nous faut donc penser une « souveraineté solidaire » que Mireille Delmas-Marty oppose à une « souveraineté solitaire ».
La mondialisation n’est pas heureuse « par nature ». Elle peut le devenir dans un nouveau pacte de respect de l’environnement et des droits humains. Lutte contre le changement climatique, protection de la biodiversité, prévention de la malnutrition et des pandémies sont un même et seul combat.
Nous devons inventer une nouvelle génération de traités fondés sur des règles équitables et qui s’inscrivent dans un nouveau multilatéralisme. Ni nationalisme égoïste ni prédation mondialisée mais le droit pour chaque pays à contribuer à la sécurité alimentaire commune. Une nouvelle régulation des marchés agricoles, basée sur le « juste-échange », peut se substituer au dogme du libre-échange.
Question 2
Les entreprises de commerce équitable, comme toutes les entreprises à impact, internalisent le coût de leurs (bonnes) pratiques sociales et environnementales, et font face, sur le marché, à la concurrence d’entreprises qui proposent des produits aux allures comparables mais moins chers. Selon vous, quel est le rôle de la puissance publique sur ce sujet ?
Le rôle de la puissance publique est de lever le voile sur les fausses allégations commerciales, pour faire cesser le « greenwashing » et le « fairwashing ». Je crois pour ma part à la nécessité d’un langage commun pour le commerce équitable, et plus largement pour la RSE.
La RSE apparaît comme une intention éthique visant à améliorer l’impact social et environnemental d’une économie marquée par l’accélération des avancées technoscientifiques et la concentration des grandes entreprises. Mais nous observons aujourd’hui la limite consubstantielle d’un système autoproduit dans une dynamique privée sans la médiation d’un cahier des charges public, qui ajoute de la confusion au lieu de refléter la réalité des pratiques des entreprises.
Afin de dépasser le premier âge de la RSE, j’ai défendu en 2019 une proposition de loi, malheureusement rejetée par la majorité, visant à expérimenter une certification publique de RSE. Ce scoring permettrait à chaque citoyen, dans ses statuts de consommateur, d’épargnant et d’investisseur, de comparer les performances des entreprises en matière de RSE et orienter l’économie dans un sens vertueux. C’est une proposition législative « miroir » à l’initiative d’index d’impact social et écologique porté par le mouvement de l’économie sociale, Impact France.
Le rôle de la puissance publique consiste par ailleurs à encourager, par le biais de la politique de développement internationale, la promotion des initiatives qui mettent en œuvre un commerce équitable respectueux de la dignité du travail, des biens communs écologiques et du partage de la valeur au sein des filières économiques. C’est le sens de l’amendement que nous avons fait adopter dans le projet de loi solidarité internationale.
Dans la loi Climat actuellement débattue en hémicycle, outre l’ajout des produits de commerce équitable dans la part des 50% de produits de qualité et durables servis en restauration collective, nos amendements visent à éviter tout dévoiement de ce que signifie le commerce équitable.
Question 3
S’il n’est pas le seul, le prix est un frein considérable pour accompagner la transformation des pratiques de consommation. Selon vous, quels sont les leviers pour rendre plus accessibles des produits à haute valeur sociale et environnementale aux consommateurs ?
La réponse tient pour une part à la place tenue par l’économie sociale et solidaire et le commerce équitable dans l’économie globale. Des économies d’échelle sont en effet attendues notamment en matière de logistique. Mais l’essentiel se joue ailleurs.
L’État peut, par sa politique fiscale et sociale mais également par les aides publiques, investir à la source de la transition sociale et écologique. Autant que de réparer les inégalités sociales et l’empreinte de notre économie sur l’écologie, il revient à la puissance publique de prévenir ces effets et de rendre par la même accessible les produits et services du commerce équitable et de l’ESS au plus grand nombre.
C’est le sens de notre proposition de loi pour instaurer un mécanisme fiscal visant à limiter les écarts de rémunération à 12 fois les salaires les plus bas de l’entreprise. Au-delà de ce facteur 12, le coût n’est plus déductible de l’impôt sur les sociétés.
C’est le sens également du « chèque déjeuner pour tous » que nous proposons dans la loi Climat, qui se veut une alternative à un chèque alimentaire par trop stigmatisant.
Question bonus
Dans le cadre de la Commission spéciale du projet de loi climat et résilience, le ministre de l’agriculture s’est opposé à un plan de structuration en faveur du commerce équitable. Vous avez soutenu cette proposition. Pouvez-vous nous dire pourquoi elle vous semble importante ?
La transition écologique sera sociale ou ne sera pas. La France serait plus forte si l’État accompagnait de façon plus claire et plus massive le commerce équitable à l’échelle territoriale française, européenne et mondiale.
Je suis personnellement fatigué des discours de la diversité des modèles qu’il conviendrait de ne pas opposer. Le temps est venu de considérer le commerce équitable comme la référence de la nouvelle économie, et ce au-delà des marchés publics et des niches sectorielles.
C’est le sens de notre combat dans la loi Climat pour la prise en compte d’un affichage environnemental ET social dans le secteur du textile, pour en finir avec les œillères posées sur l’industrie la plus polluante du monde et en cohérence avec l’Alliance 8.7 contre l’esclavage moderne et le travail des enfants.
C’est également la raison pour laquelle je plaide pour une réforme des certifications Agriculture Biologique et Haute Valeur Environnementale qui intègre dans leur cahier des charges de nouveaux critères environnementaux, dont le bilan carbone, mais aussi et surtout des critères sociaux. En effet nous importons des aliments produits dans des conditions de travail indignes, des marges indécentes sont captées par certains distributeurs tandis qu’une part des conversions sont le fait d’entreprises qui s’accaparent la terre au mépris de l’esprit des lois foncières. Il y a urgence car ces pratiques émergentes peuvent devenir exponentielles, et risquent de dénaturer la réalité de l’AB et la promesse de la HVE.
Des critères sociaux de commerce équitable et de pratiques permettant le renouvellement des générations doivent également être explorés au nom du juste partage de la terre et de la valeur ajoutée.
Un plan d’action national sur le commerce équitable de filières françaises, aux côtés des filières de solidarité internationale, participe à affirmer le lien indéfectible entre l’égale dignité de chaque personne et la préservation de notre maison commune. La justice pour réparer la vie et offrir aux générations qui viennent « une seule santé » !
Qui est Dominique Potier ?
Dominique Potier est député de la 5e circonscription de Meurthe-et-Moselle, et est membre du parti socialiste. Militant associatif, agriculteur bio en coopérative, fondateur et président du laboratoire d’idées humaniste « Esprit Civique”, il travaille également avec la Fondation Jean Jaurès pour une transition agroécologique et une politique d’alimentation de qualité pour tous. À l’Assemblée Nationale, Dominique Potier est membre de la commission des affaires économiques où il s’investit en première ligne dans les combats pour la justice au quotidien et pour une mondialisation plus humaine.
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Un grand merci à Dominique Potier et tout particulièrement à sa collaboratrice Gaëlle Masson pour avoir pris le temps de répondre à nos questions, et pour leur engagement en faveur de la transition écologique et solidaire de notre société.